La biologie marine bouleversée par les émissions de CO2

Publié le par Godon

Le CO2 ne menace pas seulement le climat, il dégrade aussi les océans : en absorbant une part du carbone atmosphérique excédentaire, les mers tendent à devenir de plus en plus acides. Un phénomène qui pourrait à l'avenir fragiliser certaines espèces formant la base de la chaîne alimentaire. Des travaux publiés, dimanche 8 mars dans la revue Nature Geoscience, suggèrent que ces bouleversements, prévus par les expérimentations en laboratoire, sont en cours et que leur magnitude est déjà importante.


Lorsque les eaux océaniques deviennent plus acides, certains organismes - en particulier planctons et coquillages - ont plus de difficultés à former leur exosquelette de calcaire ou leur coquille. Depuis le début de l'ère industrielle, le pH moyen des océans a chuté environ de 0,1 point, mais l'incidence de cette variation sur le vivant est délicate à évaluer.


William Howard (Antarctic Climate and Ecosystems Cooperative Research Centre, Australie) et ses coauteurs sont parvenus à comparer des foraminifères actuels - une vaste famille de planctons unicellulaires - à leurs semblables fossiles, extraits de carottes sédimentaires prélevées dans l'océan Austral. Les chercheurs constatent qu'en moyenne, la masse des minuscules enveloppes calcaires de ces micro-organismes est aujourd'hui jusqu'à 30 % à 35 % inférieure à ce qu'elle était au cours de l'Holocène - c'est-à-dire les 10 000 dernières années. "Cela est cohérent avec une réduction de "calcification" induite par l'acidification de l'océan", écrivent les auteurs.


La fragilisation du plancton peut avoir des conséquences importantes. Non seulement celui-ci forme les bases de la chaîne alimentaire océanique mais il participe à absorber le CO2 atmosphérique par photosynthèse. La réduction de son activité pourrait impliquer l'affaissement de l'activité biologique de l'océan dans son ensemble. D'où un impact sur les ressources halieutiques et sur la conchyliculture, etc.


Les résultats présentés par les océanographes australiens fournissent la première preuve expérimentale que l'augmentation de la teneur atmosphérique en CO2 - 386 parties par millions (ppm) aujourd'hui contre 270 ppm avant l'ère industrielle - produit d'ores et déjà un impact fort sur les écosystèmes marins.


Cela n'allait pas de soi. En effet, la capacité à calcifier des organismes calcaires change en fonction de l'acidité du milieu mais aussi de sa richesse en nutriments, de sa température, de sa salinité, etc. Et certaines expériences in vitro ont donné des résultats surprenants, certaines suggérant même que des planctons se portaient mieux dans un milieu plus acide. Ainsi, par exemple, de certains coccolithophoridés, une autre famille de planctons...


Du coup, avoir la certitude que les changements mesurés par William Howard et ses coauteurs sont bel et bien dus au CO2 émis par l'homme est chose difficile. Mais les auteurs avancent un autre résultat à l'appui de leurs conclusions. Ils ont ainsi examiné les variations - ténues - de masse de Globigerina bulloides (un foraminifère) sur une période de cinquante mille ans et les ont mises en parallèle avec les fluctuations de la concentration atmosphérique en CO2 intervenues sur la même période. Celles-ci sont données par les carottes de glace prélevées sur le continent Blanc. Résultat : la corrélation est très forte. Plus le CO2 est élevé, plus la masse de l'enveloppe de bulloides est faible. La composition de la basse atmosphère se répercute invariablement et rapidement sur la biologie de l'océan.


Encore très peu étudiée voilà seulement cinq ans, l'acidification des océans est aujourd'hui au centre de nombreux programmes de recherche. Le pH moyen des eaux de surface, qui était de 8,2 environ avant l'ère industrielle, devrait atteindre 7,8 à 7,9 à la fin du siècle. Les spécialistes s'accordent pour dire que de tels niveaux d'acidité n'ont jamais été atteints au cours du million d'années écoulé. Mais, là encore, la science est jeune et les incertitudes sont importantes. Ainsi, des mesures menées par Timothy Wootton (université de Chicago) et publiées fin 2008 par la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) ont montré qu'au cours de la décennie écoulée, certaines eaux côtières du Pacifique se sont acidifiées à un rythme dix à vingt fois supérieur à ce qu'attendaient les chercheurs.

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